"I love you so, Darling"
meuleuse, morceau de paquebot, sueur et odeur de métal surchauffé.
installation/performance/vidéo
proposition pour les 10 ans du centre d’art La Fonderie Darling, Montréal - 2010
Issu de la reconversion des chantiers navals de Montréal, la Fonderie Darling possède un lieu atypique et historique qui impose la monumentalité.
J’ai proposé de faire renaître le temps d’une exposition, l’atmosphère des chantiers disparus, en découpant un morceau de paquebot, heure après heure, dans la sueur et l’odeur de métal incandescent.
"I love you so, Darling"
Pendant plus d’un siècle, la fonderie Darling était un lieu de travail, d’usure et d’épuisement. Même si ce n’est que pour un temps d’exposition, je souhaite remettre la grande salle en chantier.
Chaque jour ouvré, je répondrais présent et m’attellerais à découper, à coup de meuleuse, un morceau de paquebot. Sueur et odeur chaude du métal incandescent envahieront l’atmosphère. Le son, parfois assourdissant, se fera l’écho d’un travailleur même s’il n’est ici, que temporaire.
Suspendue au plafond, cette épave, monumentale relique des chantiers navals, flotte dans les airs. Imposante, elle tient l’espace de la grande salle en respect : elle est ici chez elle.
Installée dans la continuité de l’entrée, une petite cabane en bois, faite de briques et de broques lui fait face. Cette mini architecture à l’échelle humaine agit comme contrepoids sensible et intime à la gigantesque carcasse métallique. Pendant toute la durée de l’exposition, je propose qu’elle devienne mon lieu de refuge, de résidence, après d’harassantes journées.
La confrontation d’un individu seul face à l’épave revêt un aspect titanesque. Cette démesure d’investissement personnel renvoie peut-être à la nécessité d’une entreprise collective pour de tel projet ? L’ampleur de la tâche appelle à d’autres travailleurs. Leur absence en est d’autant plus flagrante. Mais, peut-être que les visiteurs voudront me donner un petit coup de main ? Un tel projet repose sur un échange avec les habitants du quartier.
Petit à petit, la meuleuse éventre le métal. Le sol se recouvre de poussière noire. Que trace-t-elle ? Juste des lignes de fuites...
Cette exposition n’est pas aussi sombre qu’il n’y paraît. Les lieux et la matière se recyclent. Nombreux travailleurs ont été reclassés. Depuis presque dix ans, la fonderie a repris vie. D’industrielle, elle est devenue culturelle et l’art travaille à cette mutation. Ce projet cherche à comprendre, à souligner ce changement en réalisant un va-et-vient, un renversement. L’artiste redevient ouvrier. La fonderie, un chantier. Histoire d’un déclassement ? Pas vraiment. Même si l’atmosphère du passé remonte à travers ce projet, le retour en arrière est impossible, factice. Les lieux ont définitivement changé de statut. La Fonderie Darling a littéralement été une fonderie mais désormais, quoiqu’elle puisse devenir et tant que l’effort de mémoire persistera, elle aura été centre d’art.
Bruyantes, odorantes, les gerbes d’étincelles crépitent. Ce projet plastique n’est-il pas un gigantesque feu d’artifice ? Le son débordera de la grande salle. L’odeur en rempliera son volume. Les gerbes d’étincelles en éclaireront des fragments.
Un travail vidéo seconde cette performance. Accrochée en bout de meuleuse, la caméra suit la ligne de coupe. Chaque film a la durée d’un disque à tronçonner. Une fois ce dernier usé, le film s’achève; un nouveau disque et l’action repart. Il n’y a pas de superflu figuratif. La narration est simple, c’est celle d’une usure, le scénario, celui d’un découpage. Seule l’intensité que l’action en ressortira. Le violent contraste lumineux entre les gerbes de métal incandescent et la salle plongée dans la pénombre rendra l’image abstraite. Le son strident de l’outil sur la matière renforcera cette confrontation. Cette manière de filmer, fait inévitablement référence à un autre film populaire de tronçonnage : Blair Witch Project.
Un trait d’humour, ce n’est pas si dramatique, n’est-ce pas, Darling ?