exposition collective "Gemütlichkeit"
Volksytem - Toulouse - 2005
en compagnie de Karina Bisch, Leatitia Gendre, Marie-jeanne Hoffner et Bertrand Parinet.
La rambarde de sécurité de l'escalier descendant à la seconde salle d'exposition, a été supprimée.
Cette dernière est remplie à raz-bord de Soupline.
Il ne reste au sol qu'un rectangle bleu, un peu quelconque, minimal, d'une profondeur impénétrable mais qui, pour les connaisseurs du lieu, oscille entre le sentiment ambiguë d'un espace bien remplie et d'une possible noyade.
En vis-à-vis, l'espace d'exposition du rez-de-chaussée est lui aussi saturé, mais, ici, la présence est invisible, juste une odeur, à première vue rassurante mais rapidement entêtante.
Gemütlichkeit est un mot allemand intraduisible, paraît-il ; on dirait peut-être "cosy" en anglais. Un mot assez insaisissable, donc, qui veut dire à la fois confortable, sympathique et sans façon dont l’origine vient de gemüt (l’âme, les sentiments). "Il y a de l’intimité dans ce mot, de l’émotion, de la convivialité aussi. C’est le bonheur du chez soi, c’est le sentiment de paix et de protection…le naturel face au superficiel, l’essentiel face à l’artificiel". (Gérard Foussier). Lorsque l’art prend la mesure du monde, le monde réapparaît en lui sous sa forme la plus singulière. Cette réapparition révèle l’authenticité de l’artiste. Ceux que nous avons invités réalisent très souvent des "relevés". Ils saisissent et utilisent ce qui dans notre environnement quotidien sert le développement de leur œuvre. Ces relevés vont de la précision d’un plan (celui d’un appartement) à la réminiscence olfactive (l’odeur de Soupline). Ce sont aussi des relevés d’histoires ; histoire de l’art ou histoire anecdotique, narration réelle ou en trompe-l’œil décoratif. Dans "Gemütlichkeit" il existe de l’universel à partir duquel l’invitation est faite d’aller vers l’intérêt de l’artiste, vers le singulier et la complexité du travail présenté. Dire que Gemütlichkeit est un titre idéal pour une exposition d’art contemporain n’est donc pas ironique. La "galerie" malgré son traditionnel assujettissement à une sobriété architecturale plutôt inconfortable, fixe bel et bien un point de rencontre. L’exposition est un lieu d’échanges basé sur un système de reconnaissances multiples, en somme un véritable lieu de convivialité.
Les premières oeuvres présentées sont celles de Karina Bisch et Marie-Jeanne Hoffner. Leur assemblage constitue un vis-à-vis surprenant qui caractérise différents types d’espaces, et rend l’appréhension de l’opposition intérieur/extérieur complexe et subtile. La proposition de Karina Bisch est issue de l’observation de maisons à colombages, ces architectures traditionnelles que l’on retrouve notamment en Alsace. Dans son installation, ce style, qui nous est plutôt familier, est discrètement associé à un autre, issu des conceptions modernistes du début du XXème siècle. Les personnages représentés dans les bas-reliefs qui accompagnent parfois les colombages, sont ici habillés de costumes géométriques. Cette association fonctionne en fin de compte comme une douce provocation à l’usage de notre adaptation au monde, tel qu’il se présente de nouveau à nous, tel qu’il se re-présente.. Le "plancher" de Marie-Jeanne Hoffner est une cartographie à l’échelle 1 de son propre appartement. L’œuvre est discrètement radicale parce qu’elle trans-forme l’intimité de son espace privé en un objet public.
Les travaux de Boris Raux et de Laetitia Gendre font glisser l’exposition vers une certaine outrance : ce qui est familier dans un premier temps, se détourne de ce statut. Au sol un monochrome bleu clair diffuse une odeur de Soupline qui finit par être entêtante et agressive. Avec le travail de Boris Raux c’est l’oeuvre telle qu’elle est organiquement constituée qui vient tromper la première impression esthétique (un monochrome bleu). Visuellement dissimulée, cette installation fonctionne comme un parasite odorant qui vient dérouter l’ensemble de l’exposition. Quant au travail de Laetitia Gendre, il n’a de cesse de déraper sémantiquement, d’ouvrir une multitude de lectures souvent transversales d’une oeuvre à l’autre. C’est le cas dans ses peintures et plus clairement encore dans ses dessins ou certains éléments se retrouvent d’une planche à l’autre, en motifs récurrents légèrement transformés (crâne, tronc, troue, cigarette). Il s’agit là de se laisser piéger au revers de la narration, là où les histoires n’ont pas vraiment de chute. D’une certaine manière, l’installation "réseaux" de Bertrand Parinet agit sur le mode décoratif, grâce à son aspect légèrement psychédélique (une multiplication de miroirs ronds et concaves). Ces miroirs sont accrochés de façon aléatoire au sol, au mur et au plafond. Chaque miroir est orienté afin qu’ensemble, ils se reflètent et produisent une mise en abyme. La totalité des miroirs est perceptible dans chacun des éléments de l’installation. On pourrait penser à une œuvre quasi panoptique, à la négativité d’un système de surveillance, mais tout à l’instar d’un Dan Graham ("Past-Present-Futur") il s’agit pour Bertrand Parinet de soumettre le public à une position critique envers l’exposition et au delà sur le statut même de l’art.
Martial Déflacieux, commissaire
